Le matin, j’empoigne mon téléphone, première chose. Je suis faible, j’ai encore des fourmis dans les mains, et je n’arrête pas de bailler. La secrétaire du médecin m’écoute, elle me dit de venir aujourd’hui, en fin d’après-midi. Je suis à moitié soulagée, au fond de moi je sais qu’il ne fera pas grand chose. Mais enfin.
Un aller-retour à 1000 mètres d’altitude histoire de rendre les clés à la gérance, les mesures ont été prises samedi pour savoir où on va mettre quoi. Heureusement c’est ma moman qui nous conduit, Mademoizelle et moi, parce que je ne peux toujours pas m’arrêter de bailler. Je marche un peu courbée, j’ai l’impression de ne pas avoir la force de me redresser entièrement.
Je passe sur le bouillon de poule de midi, pour arriver au si attendu rendez-vous chez le docteur. Faut dire que le bonhomme est un flegmatique, un peu trop mou à mon goût. Et visiblement incapable de finir une phrase. Pour un homme de science, avouez que c’est moyen. Surtout lorsqu’il s’agit de poser un diagnostic. Mais là il m’a surpris. Désagréablement surpris.
Je rentre dans son cabinet, avec Petite A. dans les bras, et il me pose THE question :
« Qu’est-ce que je peux faire pour vous Mme B. ? » (on s’était vu 4 jours auparavant)
Moi : « Ben trouver ce que j’ai… »
Et lui, comme une guillotine imbécile : « Mais c’est de l’anorexie que vous avez Madame ! »
J’en suis restée soufflée. Estomaquée même. J’ai juste pu répéter bêtement : de l’anorexie ?
Là il m’a achevé : « Oui Madame, et vous le savez très bien »
Ok. J’étais tellement en colère que je ne savais plus quoi dire. Je crois que j’ai dû balbutier quelques Ah bon, et il a sorti la phase deux de son diagnostic de génie, l’attaque sur l’allaitement. Comme quoi, vous continuez à allaiter ? Et vous avez pas songé à arrêter peut-être ? Mais vous en parlez avec quelqu’un ?
Non mais qu’est-ce qu’il croit ? Que je m’occupe de ma fille toute seule, que mon Doux ne vient que pour poser ses fesses sur le canap et boire des binch en regardant le foot et en attendant que je fasse la popotte, le ménage, nourrir la puce, le chat, et tutti quanti ? Parce que ce n’est pas vraiment comme ça que ça se passe chez nous. Ce serait d’ailleurs plutôt le contraire…
Là, j’ai reprise du poil de la bête. J’ai commencé par dire que ma fille mangeait aussi autre chose que mon lait, et que j’essaie de réduire les tétées de jour (mais en même temps avec cette canicule, c’est pas toujours facile). Puis je suis aussi passée à la vitesse supérieure : mais on est bien d’accord que ce n’est pas l’allaitement qui me provoque ces douleurs de ventre ? Ce n’est pas l’allaitement qui me fait vomir ? Ce n’est pas l’allaitement qui me file la chiasse ? Ce n’est pas l’allaitement qui me fait perdre l’appétit ?
Ce à quoi il a tout de même répondu non, à chaque question. Bon. Alors quoi ?
« Et bien Mme B., la seule chose que je peux vous proposer c’est une hospitalisation »
« Très bien »
Là je sens une lueur de surprise dans son regard. Tiens, l’anorexique est d’accord de se faire soigner ?
Il faut dire que l’on avait envisagé l’hospitalisation avec mon Doux. On avait bien vu que le Docteur ne me prenait pas au sérieux, et comme tous les examens déjà effectués s’étaient tous révélés négatifs, on s’était dit que ce serait peut-être mieux que la prise en charge soit globale et que d’autres examens puissent être faits plus rapidement (le Docteur m’avait pris rendez-vous pour un scanner dans 2 semaines. Dans 2 semaines, à ce train-là, je serais sûrement morte de douleurs et/ou d’amaigrissement).
Je retourne dans la salle d’attente où l’adorable secrétaire médicale me rassure, moi je suis de toute façon trop en colère pour avoir peur. Anorexique. Quel con !
J’ai beau me dire, attends, tu peux être anorexique sans que ce soit de l’anorexie mentale. En fait, l’anorexie est un symptôme dans certaines maladies, c’est un amaigrissement dû à une perte d’appétit. Donc dans un sens, c’est vrai pour mon cas. Mais je pourrais mettre ma main à couper que le bon Docteur sous-entendait le « mentale ». Or, je ne suis pas anorexique mentale, bordel ! Je hais vomir, j’aime manger, j’adore faire de la pâtisserie pour ensuite la déguster avec des amis et un bon thé, je ne me vois pas grosse, au contraire, là je me vois plus maigre et moche que jamais et c’est horrible, rendez-moi mes kilos ! Je ne nie pas le fait que je sois maigre, trop maigre en ce moment. Et je veux me faire soigner ! Alors, bon dieu, très bien, envoyez-moi à l’hôpital, eux au moins j’espère qu’ils chercheront vraiment ce que j’ai !
La fin de la consultation se fait dans une ambiance tendue, même si j’ai bien l’impression que le Docteur s’est rendu compte de sa bourde. Il m’explique à quelle heure je devrai me présenter à l’hôpital le lendemain, et quel est le médecin chef qui s’occupera de moi. Rien sur la durée prévue de l’hospitalisation. Il a aussi transmis que j’allaite toujours ma fille de 10 mois et demi. Voilà. Au revoir. Dossier et lettre de transmission, je vérifie à la maison que le mot anorexie n’apparaît pas dans ces papiers, non, c’est bon.
Là commence la longue soirée et nuit d’avant hospitalisation. Je fais ma valise. Celle de ma Douce aussi, même si je ne sais pas du tout si elle pourra être avec moi. Je ne suis assurée qu’en chambre commune, alors M. Roux est sceptique, il ne pense pas qu’elle pourra dormir avec moi, car ça risque de déranger les autres patients. Je ne laisse rien paraître, mais je suis morte de trouille. Je suis inquiète, si Mademoizelle doit rester dormir à la maison avec son papa, il risque de ne pas avoir des nuits très reposantes, et lui doit travailler la journée ! Ma moman est prévenue, c’est elle qui m’amènera demain et s’occupera de sa petite-fille pendant la journée.
La nuit fini par passer. La chaleur est écrasante. Peau moite contre peau moite, on profite de ce qui sera peut-être notre dernière nuit de cododo avec ma Douce. Elle tête souvent, mais avec cette canicule, je préfère ça. Je sais qu’elle s’hydrate bien, et qu’elle dort de tout son saoûl. Tellement d’ailleurs qu’il faudra la réveiller au moment de partir, à 9 heures…